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À la force des mots », m’avait dit mon enseignante. Ces 6 mots tournent en boucle depuis 2 heures que je marche vers chez moi, mais je ne comprends toujours pas. On m’a toujours appris une chose : dans le silence réside le pouvoir. C’est surtout ce que papa disait quand on devait remettre nos cultures du mois à Cravate rouge, c’est comme ça qu’on l’avait appelé avec Imany, mon frère jumeau. Il m’avait raconté une fois l’avoir aperçu gifler papa, dans la grange, samedi dernier. Il avait peur qu’on le voie, tout ce qu’il avait pu entendre était : « (quelque chose de rabaissant sur les pauvres, il entend que son papa proteste alors qu’on le force à donner ses terres) ». De mon côté, j’entendais souvent maman et papa se disputer parce que nos produits ne suffisaient plus à couvrir nos charges. Pourtant, tous mes camarades de classe ramènent les biscuits que papa produit. J’entendais beaucoup le nom de Cravate rouge. Mais bon, peu importe. Cravate rouge ne méritait pas de gâcher mon vendredi soir. Je viens de passer une excellente journée, le ciel est parsemé d’étoiles aujourd’hui, il n’y avait pas beaucoup de boue de la dernière pluie, alors mes chaussures sont toujours blanches, ou du moins brunes, et... - « Prends le raccourci vers la route 22, la tarte au citron ne t’attendra pas pour fondre ! » Et en plus, mon dessert préféré m’attendait à la maison ! Je ne sais pas ce qui pourrait gâcher ma journée aujourd’hui. Maman fait de la tarte au citron lorsqu’il nous reste assez de lait dans le frigo et que je trouve des citrons, papa a dû les amener. « Ce qui veut dire qu’il est rentré plus tôt aussi !! » j’exclame à Imany avec qui je finis ma route en courant et en ricanant. Il était déjà 21h lorsque nous arrivâmes chez nous. J’entre dans la commune, mais quelque chose clochait. L’air était lourd. Un silence perturbant régnait dans la grange. Une odeur de brûlé, et il faisait bizarrement chaud. « Maman a dû brûler sa tarte ? » interrogea Imany. Je traverse la cour et c’est là que j’aperçus de grandes flammes consumer ma maison. Imany courut à l’intérieur pour sortir maman et papa de celle-ci et moi, moi j’étais paralysée, incapable de faire le moindre mouvement. Tout tournait autour de moi alors qu’on me tirait de force de la cour, je savais plus où était mon esprit, à quoi je pensais, qu’est-ce qui se passait. Et-
« Officier Issa ! m’interrompit Brendan, ça fait 10 minutes que je te parle, ne me dis pas que tu n’as rien écouté ?! C’est une petite affaire, certes, mais c’est tout ce dont nous avons pour le moment. Si nous voulons prouver aux supérieurs qu’ils peuvent nous confier de grosses affaires, alors il faut qu’on saute sur celle-ci. » Je n’avais encore une fois pas écouté la moitié de ce qu’il avait raconté, l’esprit encore ailleurs. « À quoi tu pensais ? » m’a-t-il demandé. « Je n’aime pas les tartes au citron, ne m’en ramène plus la prochaine fois, et ça ne va en aucun cas me convaincre de prendre cette affaire. » S’affalant sur sa chaise avec un grand soupir, il demanda : « C’est quoi l’histoire avec les citrons ? Une fois c’est les cravates, l’autre fois c’est la couleur rouge, et d’ailleurs tu n’as jamais voulu m’expliquer ». Je fixai le mur pendant quelques secondes puis dis : « Le jour de l’incendie qui a tué mes parents, ma mère m’avait préparé une tarte au citron, c’était mon dessert préféré à l’époque. J’ai toujours des souvenirs du plat aux motifs de mini myrtilles et citron brisé sur le sol, puis récupéré par les investigateurs ». Brendan eut un mouvement de recul et, semblant regretter son précédent ton, il reprit : « Désolé, ça a dû être dévastant, c’était un incendie provoqué ? » Comment lui dire que ce doute me hante jusqu’à aujourd’hui. Si c’était bel et bien voulu, qui aurait voulu tuer deux pauvres paysans ? Cravate rouge, me disait Imany. Mais je n’ai jamais voulu l’écouter. C’est d’ailleurs le dernier sujet de dispute qu’on a eu depuis maintenant 5 ans qu’il a disparu. « Peu importe, lui dis-je, c’est du passé maintenant et le fouiller ne rapporte jamais rien de bien. Il est mieux de laisser les choses comme elles le sont. » Brendan, ayant compris que je ne voulais plus en parler, se leva pour prendre un appel et quitta la pièce. Il ne restait plus que moi et mes pensées. Moi et mes cauchemars.
Mon lieu de travail, la station policière de Chicago, se situait tout près d’un centre d’orphelinat. J’y voyais toutes sortes de visages : certains souriants, certains perdus dans leurs mondes, certains ayant l’air prêts à dominer le monde et d’autres, rien. Je ressentais leurs vides de la vitre qui me séparait de ce monde rude et pervers. Une envie me prenait souvent de consoler ces enfants qui avaient peut-être tout perdu du jour au lendemain comme moi. Je n’avais peut-être pas d’argent, mais comme je plains ceux qui sont pauvres d’amour et de compassion. J’avais une famille, un refuge, des amis, et c’était là ma vraie richesse. Aujourd’hui, j’ai beau vivre dans un appartement luxueux, j’ai beau avoir un poste stable et bien payé, des collègues avec qui boire de temps à autres, mais mon vrai bonheur m’a été arraché il y a maintenant 10 ans. J’ai été placé dans une maison d’orphelinat par tonton Jems, ici à Chicago, après l’incendie et Imany avait fugué. Je suis resté en contact avec lui pendant 3 ans et c’est tout. Depuis ce jour, j’ai essayé de le retrouver par tous les moyens, Imany était mon seul refuge dans ce monde, mon jumeau que j’avais perdu à cause de ma lâcheté.
Il était 20 heures et, alors que je m’apprêtais à rentrer chez moi, je reçus un message de mes collègues. Joe et Sam voulaient prendre un verre. Je pris alors l’avenue surplombant la Seine et pénétrai dans le quartier où vous ne croiserez en aucun cas un groupe d’amis dans la vingtaine échangeant des anecdotes comiques de leurs journées. Ici, vous pouvez entendre le cri derrière les rires des saouls, le désespoir derrière les litres d’alcool avalés, la haine et la douleur sous le rythme de la musique. C’est ainsi que ce monde se libère de son poids à présent. La pensée d’une tarte au citron ne suffit plus à raviver l’âme. Ce quartier est un vrai purgatoire des victimes de toutes sortes d’inégalités. Ce sont les pensées qui me traversent à chaque fois que je me retrouve à boire ici, donc pas très souvent, car j’évite de boire pour chasser mes problèmes. Je préfère juste tout oublier, tout laisser derrière. Les paroles d’Imany me revinrent alors : « Tu n’es qu’un lâche qui préfère enterrer ses soucis par peur de ne plus pouvoir se relever que de les affronter la tête haute. Tu m’as dit vouloir être policier, mais je ne pense pas que ce soit là des qualités d’un bon officier, brave et juste. » Au même moment, Brendan m’aperçoit dans la foule et me fit signe. Alors que je traversais la pièce, un visage familier attira mon attention. Des cheveux noirs bouclés, mi-longs, un tatouage nœud à la nuque et... « Imany ? » j’exclamai, je tentai de rattraper la personne mais la perdis dans le noir, l’alcool commençait sûrement juste à contaminer l’atmosphère et à me monter à la tête.
Je pris place à la table et nous discutâmes là pendant quelques heures de tout et de rien, du passant et ses bottines démodées du trottoir jusqu’à la femme et sa robe un peu trop courte à mon goût à la table à côté, quand Joe s’exclama : « Un certain Monsieur Philippe nous a apparemment donné l’enquête d’une fraude fiscale. Apparemment, 50% de son capital avait disparu ainsi que 10 à 20% du bénéfice de beaucoup de grandes entreprises comme Scela et Yut. Une telle somme, selon lui, ne peut avoir été volée que par un professionnel, difficile à trouver alors. » Je savais dès le départ que c’était peine perdue et qu’une grosse enquête ne pourrait jamais être donnée à de « simples amateurs » comme nous, comme ils le disent. « Oublie, je répondis exaspérément, Walter ou Folks vont sûrement la prendre, je rentre. ». Je me levai en titubant, à moitié inconscient, je m’enfonçai dans les ruelles de New York, quand je trébuchai sur une poubelle et faillis me heurter le visage au trottoir. Un homme à la capuche noire et au regard profond, un regard que je connais si bien, m’attrapa par le bras et me ramena à mon appartement après que je lui eus indiqué l’adresse.
Les premières lueurs du soleil me sortirent de mon sommeil et je manquai de me renverser au sol en voyant Imany dans la cuisine. Malgré mon mal de tête intense, j’accourus vers lui. « Mais où étais-tu passé bon sang ?! J’ai essayé de te joindre pendant 5 ans et tu reviens comme une fleur ainsi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? N’as-tu donc aucun sens de fraternité, je sais qu’on a tous les deux étés profondément marqués par ce qui s’est passé mais était-ce une raison de laisser toute ton enfance derrière toi ? » je criai. On m’a dit une fois que notre colère était tout simplement le reflet d’un amour intense, l’on ne prend pas la peine de s’attarder sur quelqu’un qui n’a aucun sens pour nous. Alors Imany me fixa avec son regard noisette, lointain, et répliqua : « Oui, c’était nécessaire. Ai-je un sens de fraternité ? Si c’est pour toi me reprocher d’avoir choisi le mauvais chemin, de n’être qu’un clandestin et un bon à rien, oui, je n’en ai pas. Mais peu importe, je ne suis pas là pour la guerre mais pour la paix. » Imany s’approcha et m’enlaça. Un sentiment de chaleur que je n’avais ressenti depuis un long moment m’envahit, c’était réconfortant, agréable et… vrai. Je lui rendis son geste en le serrant encore plus fort et laissai une larme couler.
Il m’expliqua plus tard qu’il eut quelques affaires à régler et qu’il cherchait maintenant à commencer une vie stable, ici à New York, en tant qu’officier également. Je fus surpris d’apprendre qu’il était lui-même devenu officier de police, je convainquis alors mon supérieur de l’intégrer dans notre station. Alors que je marchais vers mon lieu de travail en compagnie d’Imany, je trouvai que quelque chose était bizarre. Pourquoi Imany était-il revenu tout à coup ? Cela fait maintenant 10 ans que j’essayais de le convaincre de quitter Djenne, notre ville d’enfance, pourquoi maintenant ? Mais je ne cherchai pas à aller trop loin, sa présence était un trop grand cadeau pour que j’y cherche des complications. Ça faisait longtemps que je n’avais pas posé mon pied dans mon bureau en plein fou rire, alors je vais juste le prendre comme un cadeau du destin.
Brendan revient m’harceler à propos de l’affaire des fraudes du certain Philippe, me confirmant que nos supérieurs voulaient vraiment nous la donner. Imany insista également sur le fait que les petites affaires nous mènent la plupart du temps à de grosses révélations qui pourraient aussi être un moyen pour lui de se faire une place dans la filière. Je finis alors par céder. « Par quoi commence-t-on alors ? » s’exclama Sam. « Alors, Imany, j’aurais besoin de toi pour collecter toutes les informations que tu trouves sur la fraude. Les incohérences dans les transactions, les centres volés, les factures et les relevés bancaires, mais aussi un bilan des dépenses de chaque entreprise ainsi que les augmentations douteuses de capital dans d’autres. Veille à vérifier les échanges internationaux et… Imany ? » je demandai. Il semblait perdu dans ses pensées et bizarrement, ne semblait pas écouter mes instructions lorsqu’il me répondit : « Oui chef, je chercherai des témoins. » Joe et Sam s’échangèrent un regard sceptique quand je lui rappelai ce qu’il devait faire, me disant qu’il a dû passer une mauvaise nuit et que la fatigue avait dû prendre le dessus. « Joe, tu seras chargé d’interroger tous les employés des entreprises où les vols ont eu lieu, ainsi que toute autre personne qui pourrait être suspectée. Quant à toi Sam, tu me dresseras un portrait du susceptible coupable selon toutes les informations que tu auras rassemblées de tes collègues. Moi, de mon côté, je serai en charge du traçage des possibles flux d’argent pour tenter de comprendre le motif de ces vols. » Tous acquiescèrent et se mirent au travail.
Après une longue journée de recherche, nous décidâmes avec Imany de prendre la route du pont et nous nous posâmes au bord du fleuve pendant quelques minutes. Le son des lucioles, la brise fraîche et la pleine lune étaient ce qu’il fallait de mieux pour m’apaiser. Imany prit une grande inspiration et croisa mon regard avec son sourire en coin. J’ai toujours pensé que ce garçon était plein de mystère, si intéressant. Il ne racontait jamais ses ambitions ni ses projets à moins qu’ils n’aient besoin de quelqu’un, pas même à moi, son frère. « À quoi tu penses ? » me demanda-t-il. « À ce que tu pourrais me cacher », lui dis-je. Et soudain, son visage pâlit, je lus une frayeur dans son regard et il se leva, l’air paniqué. « Allons, il se fait tard, nous devrons parler de notre enquête alors une bonne dose de café ne serait pas de refus, Starbucks est toujours ouvert ! » dit-il avec un grand sourire, les jambes se baladant un peu partout. Je mis toutefois mes doutes de côté, j’avais assez travaillé mon esprit pour la journée. Un souci de plus et je sens que mon esprit lâchera. Cette fraude se montre beaucoup plus complexe que prévu.
De retour chez nous, nous nous posâmes dans le salon et alors que j’allais chercher nos dossiers, je surpris Imany faire le tour de la pièce. « T’as fait un sacré bon boulot, me dit-il, on est très loin de notre petite commune de Djenne » Il le dit d’un ton humoristique mais je senti une pointe de nostalgie et, d’envie ? Imany avait pourtant l’air en bonne situation également : bien habillée, officie de police, qu’avait-il donc à m’envier ? Au final, le même gouffre habitait nos cœurs. « Aller au boulot » exclame ai-je en posant la pile de papier sur la table.
Ça fait maintenant 3 heures qu’on est sur l’affaire. Joe et Sam nous ont rejoints vers minuit et un détail attira mon attention. Toutes les fraudes étaient dirigées vers un même groupe d’entreprises, et d’autres petits centres du même propriétaire. Joe précisa que c’était en effet uniquement les entreprises du Monsieur Philippe, celui qui a relevé l’affaire. « Il doit avoir une sacrée dent contre lui », dis-je, mais quelque chose m’échappait. Cette fraude ne pouvait être un simple vol, je sentais qu’un motif plus profond était caché. C’est alors qu’Imany répondit tout haut ce à quoi j’avais pensé : « La vengeance et la justice sont des motifs suffisants pour reprendre ce qui nous a été volé ». Encore une fois, Joe et Sam échangèrent un regard perplexe. Imany renferme sûrement le même sentiment de rancune amère depuis l’incident. Philippe était un contrôleur d’exploitation dans les pays tropicaux, plus précisément, l’Afrique. Bizarrement, des entrées d’argent suspectes ont été tracées vers la porte 55 maritimes de l’Afrique. « Celle de Djenna », s’exclama Imany en me regardant intensément. Je ne sus comment interpréter ce regard. Était-ce de la complicité ? De la méfiance ? « Ok, et alors ? Notre fraudeur africain s’amuse à voler Philippe pour on ne sait quelle raison, et ça nous mène où ? » Honnêtement, je commençais également à perdre intérêt pour l’affaire. Ça avait tout simplement l’air d’un fraudeur débutant. Il n’avait même pas pris la peine de masquer le flux d’argent. D’ici une semaine, nous serons capables de tracer sa position et par conséquent son identité également. Je lâchai les documents avec un soupir quand Imany rétorqua : « Et si nous devions plutôt creuser le profil de Philippe, nous pourrions trouver la raison de la fraude. Je suis sûr que ce n’est pas une simple fraude, je sens quelque chose de complexe derrière. Et s’il faisait de l’exploitation illégale ? » Ne sachant pas quoi dire ni que penser, je restai là à le fixer. Imany semble donner des idées volantes mais qui finissent par avoir du sens. Même si je ne vois pas vraiment pourquoi nous devrions creuser les affaires de Philippe, je lui fais confiance à 100%. Sam n’est pourtant pas du même avis que moi et préférerait laisser de côté le motif de la fraude. « Nous rencontrerons Philippe demain, point final », m'exclamai-je en me levant pour rassembler mes affaires. Tous firent de même et rentrèrent chez eux. Quelque chose me dit que demain sera une journée mouvementée.
En route vers le bureau de Philippe, Brendan m’attrapa par le bras. « Issa, écoute-moi, je sais que c’est ton frère et que tu le fais confiance à 100%, mais quelque chose ne va pas. Il est toujours le premier à indiquer les pistes au hasard qui finissent par être les bonnes, il te fixe bizarrement quand on avance dans l’enquête et semble être très sensible à l’affaire. Le fait qu’il tienne tellement à interroger Philippe, et puis je l’ai aperçu fouiller dans ton bureau hier soir, alors que tu étais aux toilettes. Je n’ai rien contre lui personnellement, mais je pense qu’il a quelque chose à voir avec les fraudes. Réfléchis, il apparaît tout juste lorsqu’on commence cette affaire, après quoi, 3 mois d’inactivité. Et- » J’interrompis Brendan avant qu’il ne me fasse réellement croire qu’Imany était un criminel. Mais quelle absurdité. Je lui pardonne cette fois-ci, car je le connais depuis maintenant 9 ans et je sais qu’il peut être très impulsif et jaloux. On est très proches et je comprendrais qu’il se sente remplacé. « Allez, arrête-moi ça, tu restes mon frère numéro 2 ». Il tenta de me rattraper quand je bousculai Imany qui sortait tout juste du bureau, alors qu’il n’était que 8h, c’est-à-dire deux heures en avance de notre rendez-vous. « Tu vois ! », me chuchota Brendan. Il est vrai que quelques questions me traversèrent : que faisait-il ici si tôt et qu’essayait-il de cacher derrière son dos, avait-il rencontré Philippe ? Pourquoi est-il accompagné de deux autres policiers que je ne connaissais pas ? Mais quelque chose dans son regard me cria de le laisser tranquille, après tout, c’est un adulte maintenant, il doit savoir ce qu’il fait. « Salut Imany », lui dis-je avec enthousiasme, « on se voit à 10h » et je le vis embarquer dans un taxi avec deux gros cartons en direction du centre-ville.
Alors que je me dirigeais vers l’ascenseur, un détail me revint. J’ai cru lire "affaire Bleust" sur un des dossiers qu’Imany trimballait. Je m’arrêtai au milieu du couloir, et Brendan me fixa, sceptique. « Bleust, c’est le nom de ma commune d’enfance », j’échangeai un regard méfiant avec Brendan et on se tourna tous les deux vers Imany, toujours dans la voiture. « À quoi tu penses ? » me demanda-t-il. Je réfléchis deux secondes et répondis : « Rien, allons ».
Je me situe maintenant dans la salle de réunion, en compagnie de Brendan, Joe et Sam, toujours en attente d’Imany et de Philippe lui-même. « Soyez le plus neutre possible, il ne doit pas apprendre qu’on l’interroge comme possible suspect d’une affaire criminelle. On pourrait perdre notre travail s’il savait jusqu’où l’investigation est allée », rappelai-je. Je pensais alors aux questions que j’aurais besoin de poser : d’où vient la majorité de son capital, comment l’a-t-il gagné, connaît-il des personnes qui auraient une dent contre lui… Je faisais le tour des interrogations quand la porte s’ouvrit dans un fracas. Un souvenir bref surgit. « “1… 2 !” J’avais mémorisé ce rythme pour prévenir papa et maman à chaque fois que Cravate rouge débarquait dans la commune. Nous avions pris l’habitude de cacher une partie de nos cultures dans le dépôt pour éviter que Cravate rouge ne les emporte. Je n’avais jamais cherché à comprendre pourquoi il le faisait, s’il avait le droit ou non. Imany, lui, tendait son oreille dans toutes les discussions que maman et papa avaient à son propos. Moi, je préférais rester dans le déni de mon enfance. » C’était le même son. La pression ralentit sur la poignée, les trois secondes d’attente, puis l’ouverture brusque à la volée, l’épaule droite en avant. Les faits et gestes de Philippe m’étaient étrangement familiers mais je ne pouvais croire qu’il soit Cravate rouge. Je ne l’avais vu que quelques fois dans ma jeunesse, je ne pourrais faire le lien si rapidement après 10 ans. Ça ne doit sûrement être qu’une impression. La porte s’ouvrit donc à la volée et le premier détail qui me frappa était la cravate rouge. J’avais retenu ses bords noirs et ses broderies vertes… « Officier Issa ? » Tout le monde était debout sauf moi qui étais resté sur ma chaise, le regard dans le vide. Je me précipitai vers Philippe et lui serrai la main, il soutint mon regard quelques secondes et je rompis le silence assourdissant en l’invitant à s’asseoir.
« Merci de nous avoir accordé votre temps », commença Sam, « nous ne vous ferons pas perdre votre temps, comptez sur nous. » Il fallait que je me ressaisisse, des souvenirs du passé ne faisaient que ressurgir. Je suis là pour une chose : fouiner dans le passé de ce Philippe qui apparemment a commis de l’exploitation illégale. Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec Cravate rouge qui volait nos cultures, mais je ne dois pas laisser ces pensées prendre le dessus, ma vie personnelle reste en dehors du travail, ce n’est que par ce moyen que je pourrais résoudre cette affaire. Je commence alors par lui poser des questions sur ses dernières missions, les normes d’exploitation qu’il doit suivre, le suivi de l’argent, et tout un tas d’autres questions sur l’histoire de son travail quand Imany demanda agressivement : « Quelle fut votre plus grande exploitation ? » Bien que le ton qu’il employa m’étonna, je sentais dans le regard affolé de Philippe qu’on avait une piste. « En Afrique, nous avions pu travailler 1000 hectares de terre, tout juste la limite. » Sam était le meilleur entre nous pour détecter les failles, et « tout juste la limite » l’interpella, il sembla m’encourager à poser plus de questions mais je me résignai, cela nous rendrait suspects. « Si vous n’avez pas d’autres questions, je vous laisse, j’espère que mon intervention vous sera utile pour trouver notre fraudeur. » Il nous salua donc et partit en laissant la porte claquer derrière lui. J’entendis Imany souffler : « Fraudeur, oui. » J’étais sûr qu’Imany me cachait quelque chose, il savait toujours exactement quels sujets aborder pour relever le secret de Philippe. Brendan me chuchota alors : « Comme s’il ne cherchait qu’à le lui faire avouer tout en nous détournant de l’affaire de fraude. » alors qu’on observait tous les deux Imany avec insistance.
Cela fait maintenant deux semaines qu’on étudie l’affaire et que je surveille les faits et gestes d’Imany. Alors qu’on était assis à notre table ronde habituelle, je revis le flux d’argent et vis qu’il manquait 20% des bénéfices de l’exploitation, censés être enregistrés dans les archives fiscales du gouvernement américain. De plus, l’estimation de l’argent qu’il aurait pu recevoir des 1000 hectares d’exploitation est largement inférieure à ce qu’il gagne annuellement. Cela veut donc dire qu’il nous a menti. Quelque chose d’illégal est en train de se passer, il ne reste qu’à trouver les preuves et l’envoyer au décret d’arrêt.
En sortant du bureau, je décidai de prendre la route du marché pour passer acheter ces bonbons africains. Je ne sais pas exactement comment on les nomme, mais à chaque fois que j’en prends une bouchée, ils m’emportent dans mon enfance. Je ressens le goût de la mangue fraîche que je cueillais des arbres en rentrant de l’école, du citron noir que maman utilisait pour faire ses tartes et d’autres fruits tropicaux typiques de la région. C’est comme mordre directement dans le passé.
Je me dirigeais vers le kiosque de Brigitte. J’avais appris à la connaître depuis le temps où elle me préparait des plats africains au moins une fois par semaine. C’est une immigrée également. Je trouve sa présence réconfortante. Elle me fait penser à ma mère lorsqu’elle me nourrit, et lorsqu’elle me salue avec un grand sourire de loin, tout comme elle le fait actuellement. Je lui rendis son sourire et alors que je m’apprêtais à m’enfoncer dans la foule, je croisai le regard apeuré d’un vieil homme.
« J’achetais encore ces biscuits à 3 $ la semaine dernière, pourquoi sont-ils maintenant à 4 $ ?! C’est du vol, rendez-moi mon argent. » Le vieil homme tenta de le raisonner en lui disant qu’ils avaient tous subi les conséquences de l’inflation et l’augmentation des prix des produits, avec la sécheresse qui rend la culture rare. J’imagine que ses produits proviennent de l’étranger, probablement du sud de l’Amérique, vu ses airs de latino-américain. Mais l’homme vêtu d’un costume noir ne voulut rien entendre et partit en s’emparant de la boîte de 12 biscuits, il fit tomber un billet de 20 $ à la hâte. Comme le monde pouvait être cruel, pensai-je ; cette boîte aurait pu compléter les repas des enfants de cet homme, durant 4 jours au moins. 4 $ était un luxe pour certaines personnes.
Un sentiment de tristesse et de pitié, mais aussi de compassion, m’envahit à la vue de ce vieil homme fixant le billet au sol. J’ai moi-même été témoin de beaucoup d’injustices durant mon enfance, à commencer par Cravate rouge nous ayant privés de nos moyens de subsistance. Mes camarades de classe se moquaient de mes sandales, je devais travailler une fois sur deux à la grange pour aider mes parents à combler les vides et avec Imany, on sortait tous les soirs à la recherche d’un travail qui pourrait couvrir nos frais de l’école afin qu’on puisse au moins demander une bourse.
Je sentis une larme couler puis allai récupérer mes bonbons africains. En passant, je laissai un billet de 20 $ au vieil homme.
De retour chez moi, je vis Imany faire les cent pas dans le salon. Je m’approchai alors de la cuisine et lui demandai : « As-tu quelque chose à me dire, Imany ? » Il me regarda avec insistance puis me dit qu’à part ses dernières recherches sur Philippe, il n’avait rien d’autre à me dire. « Pourquoi te méfies-tu de moi, Issa ? Je suis ton frère, tu sais très bien que même si je faisais quelque chose derrière ton dos, cela serait uniquement pour notre bien. » Donc, Imany vient tout juste de m’avouer qu’il se tramait effectivement quelque chose, mais quoi, il reste à le savoir. « Pourquoi cherches-tu à enterrer l’affaire de la fraude et à fouiller les affaires de Philippe ? Nous n’avons toujours rien trouvé de concret, tu disparais à toutes nos réunions et réapparaît au beau milieu de l’investigation avec des informations qu’on n’aurait jamais pu trouver… »
« Comme si j’avais déjà le dossier en main et que je jouais la distraction ? Je sais ce que tu penses de moi, Issa, mais fais-moi confiance. D’ici une semaine, je te dirai tout. » compléta Imany avant d’aller se coucher. Il me laissa planter au milieu du salon avec plein de questions dont les réponses vont soit ne pas me plaire, soit je n’en aurai tout court.
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Nous avions mis la main sur ce qui mettrait Philippe derrière les barreaux. Son bénéfice était beaucoup plus élevé que ce qui pourrait ressortir des normes d’exploitation. On avait donc trouvé des terres qu’il exploitait illégalement. En plus de cela, une partie de cette grosse somme illégale avait été trouvée dans un des coffres forts de l’État dont il était responsable. Philippe ne m’avait pas parlé de tous ces détails après notre rencontre, mais dans tous les cas, il fallait à tout prix que je l’empêche de passer derrière les barreaux.
« Mais bon sang, Issa, c’est quoi ton problème ?! On a passé un mois sur cette affaire et maintenant qu’elle est résolue, tu veux juste la laisser tomber. C’est quoi le souci exactement ? » cria Imany.
« La seule raison pour laquelle je t’ai fait confiance pour fouiller le profil de Philippe était de trouver notre fraudeur. Son exploitation illégale ne m’intéresse pas. » dis-je à contrecœur.
« Tu m’accusais de te cacher des choses, mais t’es encore pire, n’est-ce pas ? » dit Imany en me fixant avec colère. Après tout, je comprends. N’importe qui aurait été blessé d’une telle trahison. Mais je n’avais pas le choix.
« Tu es officier, libre à toi de dénoncer Philippe. Mais ça sera sans moi. Tu pourras revenir me voir lorsque tu trouveras quelque chose sur notre fraudeur. » dis-je. Même Sam et Brenda, qui depuis le départ soupçonnaient Imany d’être derrière quelque chose de louche, semblaient étonnées par mon intervention. Imany disposa en claquant la porte et laissa derrière lui un silence perturbant. Je fixais la porte, me demandant si j’avais pris la bonne décision. Le reste de l’équipe décida de me faire confiance et d’abandonner les charges. J’aurais préféré qu’ils suivent Imany, j’aurais eu trois dettes de moins sur mes épaules.
Je me faisais un café dans la cuisine de l’office quand Brendan vint se joindre à moi. Il s’assit sans dire un mot, je lisais une inquiétude dans son regard. Et quelque chose d’autre aussi.
Je connais Brendan depuis que j’ai débarqué ici, il y a 10 ans. Je parcourais les routes à la recherche d’un toit pour dormir, à 18 ans, juste après l’incendie. J’avais trouvé un moyen de m’introduire dans un conteneur en Afrique, à l’époque je m’en moquais d’où me mènerait ce bateau, tant que c’était loin de Djenna. J’ai essayé de rester, deux semaines, j’ai tenu, mais c’était trop dur. J’apercevais des bribes de mon enfance arrachée de mes mains partout. J’étouffais dans mes souvenirs. Je me noyais dans l’angoisse. Je succombais. Alors, un beau jour, j’atteins l’Amérique, Chicago plus précisément. C’est là que je croisais Brendan, on était devenus amis, il m’avait fourni tout ce dont j’avais besoin pour survivre, un travail pour me payer des études car, selon lui, je ne tiendrais pas le coup sans occupation. Brendan m’avait redonné l’espoir en l’humanité. Sa générosité et sa bonté m’avaient relevé de mon désespoir, et je m’étais fait la promesse de devenir un policier qui veillerait à rendre justice à tous les opprimés. Je vengerai un jour mes parents. Alors, s’il y avait quelqu’un à qui je ne pourrais rien cacher, c’est lui.
« Philippe m’a contacté le jour d’après notre rencontre. Il m’a dit qu’Imany s’était fait une fausse identité, ce n’est pas un policier. Il était également derrière les fraudes. » dis-je.
Brendan, les yeux grands ouverts comme des soucoupes, dit : « Tout cela n’était qu’une diversion alors. La fraude pour remonter vers nous. L’exploitation illégale de Philippe pour nous distraire. Mais de quoi ? »
J’ai essayé d’aborder la question du motif d’Imany, de pourquoi il avait décidé de venir à ce moment précis. « Bonne question, je n’en ai aucune idée. J’ai perdu contact avec Imany pendant beaucoup trop longtemps pour être au courant des affaires qu’il entretient depuis l’incendie. » répondais-je.
Je pris mon verre et alors que j’allais m’asseoir, l’alarme retentit. Avec Brendan, nous nous dirigeâmes en courant dehors, l’arme à la main. Des bruits de pas précipités résonnaient dans les couloirs, avec le son assourdissant de l’alarme. J’entraînai Brendan par la porte arrière qui débouchait directement sur l’entrée de l’office, c’est de là que venait l’alerte.
« Issa ! Attrape une arme à ta gauche, la mienne manque de charge. Pourquoi il y a autant de policiers, un attentat ? » demanda Brendan. Peu importe l’urgence, j’espère juste qu’Imany a réellement abandonné, après tout, il n’est pas réellement policier, il ne pourra emprisonner quelqu’un sans mon intervention. C’est ce que je veux croire en tout cas.
À peine avions-nous atteint la cour principale de l’office que j’aperçois Imany menottant Philippe. Je me frayai un chemin dans la foule de gendarmes les entourant. Il a apparemment essayé de fuir. Je n’eus pas le temps de me demander comment il s’était pris pour obtenir un mandat d’arrêt que je croisai le regard de Philippe qui en dit long sur le sort qu’il réserve à Imany. S’il le démantelait ici devant tout le monde, tout espoir de reconstruire sa vie serait perdu. Alors je m’avançai vers le détenu et lui chuchotai : « Je vous sortirai d’ici et prendrai le blâme d’Imany mais ne le touchez pas. » Je croisai le regard d’Imany et y décèle du regret, à mon égard… Mais pourquoi ?
Imany s’écria : « Je vous arrête pour exploitation illégale de terres à l’international et pour provocation d’incendie meurtrier de la famille Bleust ». Ses derniers mots me laissèrent sans voix.
Imany m’avait dit un jour que je n’étais qu’un lâche qui fuyait la réalité. Qui se terrait à l’ombre par peur de découvrir la vérité. Qui préférait rester dans le déni plutôt qu’affronter la situation. C’est à ce moment que je sentis quelque chose se briser en moi, entre nous. Je venais de couvrir celui qui m’a arraché mes parents, mon refuge, ma vie. Tout à coup, les détails me sautaient aux yeux : la cravate rouge, le tatouage, la porte, le fait qu’il nous ait contactés pour enquêter. Tout était devant moi et je n’ai rien remarqué. Ou avais-je voulu ne rien remarquer ? Philippe ne voulait pas aller en prison pour l’incendie, et non l’exploitation. Il s’était joué de moi, et je m’étais laissé utiliser.
J’étais encore abasourdi quand Imany s’approcha et dit : « Officier Issa, je vous dénonce pour le délit de complicité avec un criminel » en me mettant les menottes aux poignets. Nos regards se croisèrent et avant que je n’eus le temps de dire quoi que ce soit, de l’expliquer que je n’en savais rien et que jamais je n’aurais couvert Philippe si je savais qu’il avait tué nos parents, on m’emporta avec Philippe vers les cellules.
« Comme on se retrouve, Isaac » me dit-il sur le passage. Je me figeai sur place. Le tueur, Philippe, est bien Cravate rouge. Mes soupçons se sont révélés vrais. Il nous a hanté et continue de nous suivre.
« Moins au moins ce n’est pas pour avoir tué des innocents » lui crachais-je. Je vis son expression se raffermir et me laissa diriger par les gardes. Bon, j’avais peut-être fini en prison, mais l’essentiel est toujours en vie. Imany a pu rendre justice à nos parents et il a pu rester en liberté. Tout ce qui valait le plus à mes yeux a été protégé.
« Vous avez de la visite, officier Issa » me dit l’un des gardes. Finalement, ce n’était pas si déplaisant que ça d’être en prison. J’avais préservé mon image et l’on me traitait avec respect. On me nourrissait et je discutais avec mes collègues qui venaient me voir lors de leurs pauses. Le chef me confiait des affaires à étudier. Oui, la corruption est partout, mais après tout, je n’avais rien fait de bien mal comparer aux meurtriers qui m’entouraient.
Il m’emmena vers la pièce où m’attendait mon visiteur. Alors, j’aperçus de l’autre côté de la vitre, un regard profond et électrisant. Imany. Le garde ferma la porte après nous avoir rappelé nos cinq minutes réglementaires (il fallait qu’on tienne bonne figure devant le public et que l’on ne révèle mes mini-privilèges).
« Alors, c’est comment la prison, Isaac ? » demanda Imany.
« L’entendre de la bouche de cet assassin a taché le surnom que m’avait attribué papa. Mais, pas mal, écoute, je dors, je mange, je pense, c’est la fête » je dis avec un sourire en coin. Imany lâcha un petit rire.
« Je n’en savais rien, tu sais, c’est Philippe que j’ai voulu couvrir, pas celui qui a tué maman et papa » dis-je en fixant le sol. Imany resta silencieux quelques minutes puis dit : « Je sais, et j’aurais dû le deviner. Je sais que ce n’est pas un « désolé » qui va te sortir de prison mais je regrette sincèrement de t’avoir dénoncé. J’avais entendu votre discussion, à toi et Philippe, mais pas la partie où il te menaçait de me livrer aux autorités pour utilisation de fausses identités et fraudes fiscales. Je porte la rancune sur Philippe depuis bien trop longtemps maintenant, au point que je n’ai pu me contrôler en sachant que tu le couvrais. Pour moi, les détails sautaient à l’œil, je le pensais impossible que tu n’aies pas reconnu Cravate rouge. » répondit Imany.
En réalité, je n’en voulais pas à Imany, j’avais été un lâche depuis trop longtemps, il fallait que j’en assume les conséquences.
« Je ne t’en veux pas, tu as juste intérêt à me faire sortir de prison. Je te suis redevable d’avoir foutu ce Philippe en prison, je n’ai jamais eu le courage de partir à sa recherche. » dis-je à Imany qui me parle ensuite de ce qu’il a fait pendant les cinq ans où il avait disparu. Il passait son temps à aider tous ceux qui avaient besoin d’aide dans la ville, il travaillait pour gagner sa vie, les fraudes étaient pour reprendre l’argent que Philippe nous avait volé, qu’il versait ensuite au maire de Djenna pour redonner vie à notre refuge.
« Papa et maman doivent être fiers de toi, bon travail frangin » dis-je les larmes aux yeux. Tout à coup, je me sentis stupide. Stupide d’avoir fui mon pays et d’être devenu un esclave de l’État américain.
« J’ai beau te traiter de lâche, mais ne te prends pas pour seul responsable de ce qui s’est passé. À l’époque, il suffisait juste qu’on aille dénoncer Cravate rouge, tous les moyens nous étaient offerts. On aurait pu le filmer, ou je ne sais pas. N’importe quoi, mais on ne l’a pas fait. ». Sur ce, Imany m’adressa un salut de la main et m’assura de revenir me délivrer à sa prochaine visite.
Je restai planté là sur ma chaise pendant quelques secondes puis je pensai. Si j’avais osé protester, on ne m’aurait pas tout pris sous mes yeux, j’aurais pu protéger ce que j’avais de plus cher, si seulement je l’avais compris plus tôt, ces six mots : « À la force des mots. »